101 kms, 6000 mètres D+ entre Courmayeur en Italie et Chamonix en France en passant par Champex en Suisse, un magnifique parcours autour du Mont Blanc.
Il y a des grosses difficultés sur cette course, notamment la première ascension 1400 mètres dès les premiers 10 kilomètres. La portion entre Champex et Trient en pleine nuit, avec une ascension interminable aussi. J’ai essayé cette année de tirer quelques enseignements de mon échec de l’année passée. Nous avions abandonné à Trient avec Brice au bout de 72 kms, malades, très fatigués, on avait jeté l’éponge.
J’ai eu j’avoue un peu de mal à me remettre de cet échec parce que le lendemain j’étais super bien, pas la moindre courbature, on montait à pied sans difficulté les 6 étages qui menaient à l’appartement qu’on avait loué pour les vacances à Chamonix. Et dans ces cas là on oublie vite les souffrances de la veille, et on se demande sans fin pourquoi on a arrêté…
Cette année on s’était entrainés à courir sous la chaleur (C’était pas la chose la plus utile à faire mais on ne pouvait pas le savoir à l’avance :-)), on a fait un 47 kms en avril, le TBA, un 35 kms en juin, le trail de Grasse, et un 45 en juillet, le trail de Valberg, et tous les dimanches on faisait une sortie de 4 heures autour de Gourdon (environ 1000 mètres de D+).
J’étais très contente de pouvoir retenter ma chance, j’adore Chamonix, toute la famille adore Chamonix, mon fils est parti cet été à Amsterdam pour 6 mois, il était terriblement déçu de ne pas pouvoir venir, mais les filles sont aussi nos plus fidèles supportrices ! Ce qui ne m’a pas empêchée de très mal dormir à partir du lundi précédent la course. Les doutes ont commencé à surgir, je regardais la météo 10 fois par jour, ils annonçaient beaucoup de pluie, du froid, et ça ne faisait que s’intensifier. J’avais beau me dire que je préférais le froid à la chaleur, je me serais bien dispensée de la pluie.
J’étais tombée par hasard il y a quelques mois sur une vidéo Columbia consacrée à la gestion mentale d’un ultra et j’avais trouvé leur approche intéressante. La vidéo parlait notamment de l’engagement qu’il fallait prendre vis à vis de soi même, une sorte de contrat personnel dans lequel on s’engageait à partir pour 100 kms, tant qu’on était pas arrivé au bout on n’avait pas rempli le contrat, il fallait continuer (bon sauf gros pépins physiques bien sur, ce n’est pas non plus du masochisme !). C’est peut-être bête mais le fait de me répéter « je pars pour 101 kms, et je n’arrêterai qu’au bout de 101 kms » a été efficace, je pense, dans mon esprit je partais pour arriver au bout.
L’avant veille de la course, on rencontre par hasard Sandrine dans la file d’attente du retrait des dossards, elle s’aligne sur l’UTMB, 165 kms, elle passera 2 nuits dehors, sous la pluie dans le froid, et elle finira la course, mon admiration est totale.
Nous voilà donc le vendredi matin, jour du départ de la course, le réveil sonne à 4h30. En fait il n’a pas besoin de sonner, je n’ai pas dormi de la nuit. A 7 heures départ du bus pour Courmayeur. Il fait froid, le ciel est tout gris, on a eu la veille un avertissement de la course par SMS disant qu’ils se réservaient le droit de modifier le parcours en cas de dégradation brutale de la météo, ce n’est pas très engageant. Mais de l’autre coté du tunnel à Courmayeur un grand ciel bleu nous attend !! On finit par se demander avec Brice si on n’est pas trop couvert. On a choisi l’option pantalon mi long et protège mollet, si le soleil est au RV on aura beaucoup trop chaud. Dans le sud on a l’habitude de courir en short quasiment toute l’année. Le briefing d’avant course ne va pas trop être rassurant, on nous annonce des températures négatives au sommet sur les crêtes et on nous interdit formellement de nous arrêter. La consigne est claire, vous arrivez au sommet vous redescendez direct. Mais je suis dans ma bulle, ma petite préparation mentale semble fonctionner, j’arrive même à me persuader que je préfère la pluie à la chaleur, que j’arriverai à gérer le froid, oh là là si ça continue je vais être en excès de confiance, ce serait une grande première ! 🙂 mais pour l’instant tout va bien ! Et l’ambiance est démentielle au départ comme d’habitude, tout Courmayeur est dehors et encourage les coureurs, c’est magique.
Et c’est parti pour 101 kms, et les premiers 1400 mètres de dénivelé pour arriver à la tête de la Tronche. La montée se passe sans difficulté, on est très nombreux c’est normal c’est le départ, il y a 2200 coureurs, dans les sentiers étroits on ne peut que suivre le coureur devant et c’est très bien ça nous évite d’aller trop vite. J’ai essayé de mémoriser mes temps de passage de l’année dernière. Et on arrive à la tête de la tronche avec 10 mn d’avance par rapport à l’an passé (par rapport à mes temps à moi, Brice était passé avant), ce n’est pas énorme, mais j’arrive là haut en pleine forme, alors que l’année dernière en plein soleil dans l’ascension j’avais cru mourir.
Nous sommes au kilomètre 10 et on amorce la descente vers le refuge Bertone, c’est roulant, on est sur une crête large, le panorama est magnifique. Ensuite on enchaine une succession de petite montées et descentes pour rejoindre le refuge Bonatti. La nature du terrain et du relief nous permet de courir. Le rythme est bon.
Puis descente ensuite vers Arnouvaz au kilomètre 27. Je me rends compte dans la descente que je commence à avoir une ampoule sous le talon gauche. Comme je le dis souvent je n’ai pas trop confiance en ma capacité mentale à gérer une telle course. J’essaie de positiver, je me dis que c’est juste une ampoule naissante, rien de grave, mais en même temps on n’a même pas fait 27 kilomètres. je file direct à l’infirmerie du ravito pour qu’ils me mettent un pansement. et J’essaie de penser à autre chose. Il fait encore beau, on voit les nuages qui s’amoncellent mais pour l’instant le soleil est là, tout va bien. A Arnouvaz on a 30 mn d’avance par rapport à mon chrono de l’année dernière, les voyants sont au vert, tout va bien. Tout au long de la course je vais essayer de profiter du plaisir d’être là et ne penser qu’à des choses positives, il ne faut absolument pas se laisser polluer par les pensées négatives. C’est un excellent exercice mental presque plus que physique en fait 🙂
Nous sommes à Arnouvaz il doit être à peu près 15 heures, et on s’apprête à attaquer l’ascension du grand col Ferret, 800 mètres de dénivelé. L’année passée j’avais vécu un enfer dans cet ascension, c’était la retraite de Russie, les gens étaient déshydratés, allongés partout sur les côtés du chemin, je m’arrêtais tous les 50 mètres, j’ai beau me répéter que cette année tout est différent, je ne peux m’empêcher de faire des parallèles.
Cette année, le grand col Ferret ressemble à une scène de Jurrassic parc. Le temps s’est subitement dégradé, il s’est mis à pleuvoir et on s’est retrouvés très vite dans le brouillard. La température doit avoisiner les 0 degré, plus on s’approche du sommet et plus le vent glacial se fait sentir. Je suis encore en tee shirt, je me dis qu’il faut que je m’habille avant d’arriver là haut sinon les contrôleurs de course vont penser que je n’ai pas le matériel obligatoire et vont contrôler mon sac 🙂
L’ascension se passe très bien, on grimpe sans difficulté. Arrivés là haut on reste quand même 5 mn malgré l’interdiction pour se prendre en photo, ca valait le coup !
Ca ne se voit pas sur la photo mais j’ai une pêche d’enfer arrivée au sommet, et j’adore ce paysage lunaire fantomatique. A ce moment là de la course je suis super contente d’être là.
Va s’en suivre une longue descente d’une dizaine de kilomètres, relativement roulante, vers le ravitaillement de la Fouly. On avance bien et on arrive de jour ! C’est bon signe on n’a pas perdu notre avance.
Bon par contre la fatigue commence à se faire sentir, on est au kilomètre 40 et sous la tente à la Fouly je suis prise de tremblements, je suis morte de froid, j’ai du mal à envisager de ressortir sous la pluie pour attaquer la nuit. D’autant qu’il pleut de plus en plus. Brice a l’air d’aller bien, mais avec lui il y a toujours un doute, il ne parle pas beaucoup ! On n’a pas énormément de choix il faut repartir, je mets quelques kilomètres à me réchauffer et on continue la descente vers Champex, descente d’une dizaine de kilomètres suivie d’une remontée vers le ravito. On arrive à Champex avec 2h15 d’avance sur la barrière horaire, du jamais vu pour moi !
Champex c’est le ravitaillement où l’on commence à voir des gens vraiment esquintés, c’est le début de la nuit, il pleut beaucoup. je suis transie de froid, je décide de me changer. Je ne peux pas manger tellement je tremble. Et une jeune femme en face de moi qui fait l’assistance de son mari, me passe son manteau. Je fais une petite parenthèse pour dire que beaucoup de coureurs ont une assistance qui les suit durant les courses, en leur apportant des vêtements secs, de la nourriture à divers ravitaillements, et que les gens qui assistent les coureurs sont généralement extrêmement gentils avec tous les coureurs ! et notamment cette jeune femme qui m’a dit « je ne peux pas supporter de vous voir comme ça prenez toutes mes affaires » Ca fait vraiment chaud au coeur. Je plaisante également avec une autre femme qui assiste son mari et qui me regarde tenter vainement de mettre mon surpantalon sans enlever mes chaussures et qui me propose son aide !
Bon je n’ai pas honte de publier cette photo, j’en ai des bien pires ! Je suis trempée, transie de froid, mais heureusement j’ai eu la bonne idée de mettre dans mon sac un 2ème tee shirt 🙂
L’inconvénient du 2ème tee shirt, c’est qu’il faut rattacher le dossard dessus, pas facile de manipuler les minuscules épingles à nourrice quand on est gelée et qu’on ne voit rien ! On va perdre beaucoup de temps à Champex, on ne s’en est pas trop rendu compte mais les minutes défilent, on s’est arrêtés une heure, ce qui est énorme ! et notre avance va fondre, on aura plus qu’une heure à Trient, ce qui va commencer à devenir stressant.
Mais pour l’instant tout se passe bien. La montée vers la Giète avant d’arriver à Trient est particulièrement difficile, il fait nuit, il fait froid, il pleut et on voit au loin tout en haut les frontales des autres coureurs scintiller, et quand on arrive enfin à leur hauteur, on en voit d’autres encore beaucoup plus haut et on se dit que c’est loin d’être fini !! Alors on essaie d’estimer le temps qu’il nous reste à grimper en essayant d’apercevoir quelques lueurs qui pourraient signifier qu’on arrive au sommet, peine perdue, à ce jeu on perd toujours et on en sort démoralisé.
Mais parfois on a de bonnes surprises comme cet abri imprévu dans une grange juste avant d’amorcer la descente.
On doit être au milieu de la nuit et Brice est mort de fatigue, il me dira après que si il s’asseyait il s’endormait direct. Mais il avance toujours bien ! J’ai eu de la chance je n’ai pas connu cette sensation de fatigue durant la course. J’ai ressenti de la fatigue physique mais pas d’envie de dormir.
On arrive enfin à Trient. Ce ravito me faisait très peur. C’est là où on avait abandonné l’année dernière. J’avais dit à Brice, on ne s’arrête pas, tant pis si on est fatigués, on recharge en eau et on s’en va. Il a quand même fallu que je change la batterie de ma frontale, qui commençait à clignoter dangereusement durant la descente.
A ce moment là je sais que si on arrive à ressortir de Trient, on finira la course, rien ne pourra nous arrêter ! D’autant que personnellement j’attaque une partie de la course que je ne connais pas, pas d’inquiétude donc, pas d’à priori, et je trouve l’ascension très sympa, incroyable il est 4 heures du matin et je trouve une ascension sympa !!
La descente sur Vallorcine sera nettement moins sympa, très cassante, très glissante, on patauge dans la boue en permanence. On n’avance pas, impossible de courir dans les descentes, et si on ne court pas dans les descentes, on perd du temps. Certains font des glissades incroyables, à croire qu’ils se sont élancés sur 100 kms avec des chaussures sans crampon ! et au détour d’un virage mon pied tape sur un caillou, je crois que mon ampoule que je ne sentais presque plus vient d’exploser. je ressens une douleur aigue dans le pied gauche, mon moral en prend un sacré coup, il reste encore 30 kilomètres. A partir de là je vais compenser en courant sur l’extérieur du pied pour que mon ampoule touche le moins possible le sol, ce qui me causera au bout de quelques kilomètres une douleur au genou de plus en plus vive. Je sens que la roue tourne !
Les 15 prochains kilomètres vont être difficiles, je crois que je commence à en avoir marre, j’ai la sensation de faire toujours la même chose, monter, descendre, re-monter, et re-descendre dans des chemins microscopiques qui serpentent, j’ai le moral qui flanche dangereusement , en même temps ça commence à sentir bon l’arrivée, c’est pas le moment de flancher !
Arrivés à Vallorcine, j’aperçois Katia à l’entrée du ravitaillement. Je crois qu’à ce moment de la course je commence à ne plus être très lucide, et je ne réalise pas tout de suite qu’elle est venue à Chamonix, je me crois chez moi à Roquefort, et je mets 10 mn à réaliser qu’elle a fait 500 kms pour nous voir et vivre l’ambiance de la course. Wahou ! Je crois que j’ai le moral qui remonte en flèche instantanément, j’apprends dans le même temps que Xavier est venu d’Annecy et va monter à la Flégère avec Katia et nos 2 filles ! Tout a été planifié avec le concours d’Eléna notre fille ainée qui ne nous avait rien dit ! Je suis tellement contente que je repars avec enthousiasme pour l’étape finale, la Flégère.
A cet endroit de la course, le parcours a été modifié, nous devions au préalable monter à la tête au vent, mais comme son nom l’indique bien, la température devait être glaciale là haut et le tracé de la course a été modifié. Je ne sais pas pourquoi mais au début ça m’a réjoui… ça n’a pas duré longtemps, les 11 kilomètres qui mènent à la Flégère ont été un calvaire. On est monté en direction de la Flégère, on est redescendu (et là je plains de tout mon coeur tous les étrangers qui ne connaissent pas la région, et qui ont légitimement pensé qu’ils étaient arrivés au point de contrôle de la Flégère et qu’ils redescendaient vers l’arrivée) mais non pas du tout, on est redescendu par un chemin qui n’en est pas un, très escarpé, que des rochers partout, on passait par où on pouvait, et ensuite on est remonté. Et c’est à ce moment là qu’un gars derrière moi (j’ai failli employer un autre mot que « gars »), me dit « la barrière horaire est à 10 heures non ? » Je ne me retourne même pas et je lui réponds, « non elle est à 10h45 », et lui me dit « non je suis sur qu’elle est à 10 heures, on est dans le mur on ne passera pas ». Pendant 30 secondes toutes les émotions me sont passées par la tête. Je n’avais quand même pas fait 90 kms pour me faire sortir à la dernière barrière ?? Et puis je ne sais pas pourquoi ni comment mais j’ai eu un sursaut, bien sur que si on allait passer, oubliée l’ampoule, oublié le genou, alors que depuis 2 kms je ne pouvais plus avancer, j’ai dit à Brice, « je suis sure de moi la barrière est à 10h45 mais dans le doute on va sprinter, faut qu’on arrive là haut avant 10 heures au cas où ce … gars ait raison »
et nous voilà partis presque en courant pour faire la dernière ascension, on passera à la Flégère à 9h53, la barrière était bien à 10 h 45….
Et là haut on a l’immense bonheur de retrouver nos amours de filles, au bout de 25 heures de course, elles avaient fait l’ascension avec Katia et Xavier et on est redescendu tous les 6 en papotant, c’était trop sympa. L’arrivée s’est faite sous des trombes d’eau il n’y avait presque personne, mais au fond je n’avais pas besoin de monde pour savourer l’immense plaisir d’être arrivée au bout !
Un grand Bravo les Dehaynin! Super récit !
Bises et à très vite
Steph
Christine, mon astuce pour le dossard !
Pour ne pas me battre avec les épingles sur le t-shirt, je l’attache à un élastique de boxer
(et oui j’ai sacrifié un caleçon pour ça).
Les avantages sont nombreux : taille parfaite, ni trop serré, ni trop lâche. Pas d’irritation si contre la peau. Facile à mettre et à enlever. On peut mettre le dossard dans le dos si dans les montées il gène la marche.
JM sur la même idée a détourner une vieille ceinture cardio réglée à la bonne taille. ça marche aussi
J’y penserai la prochaine fois ! merci !
Pour un peu on s y croirait! Bravo pour ce mentale d acier, pour ce beau récit, et pour cette belle victoire! Finisher! Top!
Merci Sandrine, j’ai beaucoup pensé aux coureurs de lUTMB dont tu faisais partie, durant la nuit, et notamment dans cette « affreuse » montée vers Trient, et je me suis dit que si vous, vous aviez le courage de passer 2 nuits dehors, il fallait que j’arrive à en passer une 🙂
Merci pour ce récit et bravo pour votre force de caractère à tous les 2. 101 km, 6000 m D+, dans le froid, sous la pluie, sans assistance extérieure : ce n’est pas à la portée de tout le monde ! C’est génial d’être arrivé au bout après la déception de l’an dernier 🙂